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Un cœur nomade : une exposition sur la vie et l’œuvre de Dany Laferrière
28 août 2020
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Texte principal du billet
Le Quartier des spectacles consacre à Dany Laferrière une exposition urbaine en sept tableaux ainsi qu’une vidéoprojection mettant à l’honneur sa plume et son trait de crayon, pour raconter les multiples déplacements ayant tissé sa vie et nourri son écriture.
Conversation avec l’écrivain et avec les concepteurs : Félix Dagenais, commissaire et directeur de création, Judith Portier, directrice de création et Frédéric St-Laurent, directeur de production chez Design Par Judith Portier inc.
Il mène une vie d’exils, de déplacements, de retours et de perspectives chamboulées au fil des kilomètres avalés. Dany Laferrière, emblématique « auteur de l’exil », et pourtant auteur profondément montréalais, pose sur le monde un regard toujours inusité, qui fait bouger les lignes de nos perceptions.
Dans Un cœur nomade, une exposition conçue à partir du contenu de ses trois récents romans graphiques, le commissaire Félix Dagenais et l’équipe de graphistes et scénographes Design par Judith Portier racontent ces déplacements successifs, captant l’énergie des villes, les sentiments et les amours qu’elles font vivre à l’écrivain. C’est d’abord Petit Goâve dans les yeux du petit Dany, puis Montréal à travers son regard de jeune adulte, et Paris dans la lentille de l’écrivain consacré par l’Académie française. Des passages par Miami s’y intercalent. Quatre villes et une infinité de manières d’en dessiner les contours et d’en exprimer les ambiances, avec des mots finement choisis par cet amoureux de la langue.
La joie de prendre le crayon
« J’ai l’impression d’être cet enfant à qui on a permis d’écrire et de dessiner sur les murs de la ville », dit Dany Laferrière au sujet de cette exposition qui, le soir venu, s’accompagne d’une vidéoprojection sur la façade du Pavillon Président-Kennedy de l’UQAM, L’Exil vaut le voyage. Toutes deux mettent en lumière une nouvelle forme d’écriture expérimentée par Dany dans les romans Autoportrait de Paris avec un chat, Vers d’autres rives et L’exil vaut le voyage. Dessins naïfs et écriture manuscrite font l’unicité de ces œuvres et ouvrent une nouvelle porte sur l’intimité de l’artiste.
« Le dessin et l’écriture à la main me permettent de me rapprocher aujourd’hui un peu plus du présent », dit-il. Voilà l’un des effets que l’exposition tente de recréer, en captant à l’intérieur des sept grandes vitrines de la promenade des Artistes la « spontanéité du trait de crayon », comme le dit le commissaire Félix Dagenais. « En plus d’une certaine immédiateté dans son écriture récente, je pense que nous tentons de mettre en lumière la fraîcheur de son regard sur le monde. Personnellement, je l’ai découvert comme écrivain sur le tard, en lisant L’énigme du retour en 2010, mais j’étais déjà fan de son travail dans les médias, où s’exprime à merveille le caractère inusité de sa pensée. Dany a vraiment quelque chose d’unique dans l’œil ; c’est un observateur insolite. »
« Découvrir Dany l’illustrateur a été une révélation pour moi et j’ai tout de suite adoré son trait naïf et coloré », dit la directrice de création Judith Portier, experte en valorisation de contenus dans l’espace public et en mise en scène de l’espace urbain. « Derrière la naïveté se cache une grande beauté et une grande poésie, laquelle est pour moi très palpable dans l’écriture manuscrite », ajoute son collègue Frédéric St-Laurent. Ils ont aussi travaillé avec Myriam Peixeiro, designer graphique et scénographe principale. « Il fallait réussir à conserver la poésie et l’intimité de l’écriture manuscrite tout en la transposant à l’échelle de la rue et c’était un défi considérable », ajoute Frédéric.
Une exposition qui raconte
Dans ses romans graphiques, Dany Laferrière se plaît à une écriture plus fragmentaire ou plus allusive, qui déroge gentiment de la narrativité plus linéaire de ses romans antérieurs. Mais, au fil des trois livres se constitue néanmoins, en blocs détachés, la grande histoire de sa vie et de ses exils, que le lecteur s’amuse à reconstituer et à remettre dans le bon ordre sur la ligne du temps. C’est un peu cet exercice qu’ont réalisé Félix Dagenais et son équipe, retissant le grand fil rouge qui mène Laferrière de l’enfance haïtienne auprès de sa grand-mère jusqu’à la vie parisienne actuelle.
« Refaire ce chemin en optant cette fois pour une approche assez chronologique nous permet aussi une synthèse de toute son œuvre », dit Félix Dagenais. Les dessins replacés dans cette temporalité évoquent en filigrane la dictature haïtienne qu’il a fui à 23 ans et qu’il raconte dans L’énigme du retour, puis le petit appartement de la rue St-Denis qui est dépeint dans Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, par exemple.
Ce qui n’empêchera en rien le passant d’opter pour le désordre ou même de ne voir qu’une seule partie – joie d’une expo urbaine qui s’adapte au trajet du déambulateur. « On s’est assurés qu’il y ait plusieurs niveaux de lecture et plusieurs sens, pour que tous les types de spectateurs aient une expérience riche et pour démultiplier les interprétations possibles, explique Judith Portier. Néanmoins, ceux qui suivront bien la signalétique et qui regardant toutes les planches auront vécu une expérience immersive plus complète. »
Ils auront aussi été imprégnés d’une ambiance sonore particulière, l’exposition ayant été conçue comme un « tunnel dans lequel on s’immerge en se laissant guider par le son », comme le dit Félix Dagenais. Une trame à la fois atmosphérique, tour à tour porteuse du ressac de la mer haïtienne ou des mouvements de la nocturnité montréalaise, et à la fois mélodieuse, suivant le fil d’une boucle sonore progressant d’un tableau à l’autre.
Chacune des planches montre aussi à quel point les mots sont chéris par Dany Laferrière, « à la fois dans leur sens et dans leur morphologie, mais aussi à travers leurs graphies ».
Montréal, la belle
« Tout m’intéresse dans cette ville où tout change sous mes yeux en culture dès que je le dessine », dit Dany Laferrière au sujet de Montréal. Ses illustrations captent en effet l’effervescence de Montréal dans les années 80, faisant deviner le son musclé des guitares devant la façade des Foufounes Électriques et celui, sensuel, des saxophones du Festival de jazz.
Félix Dagenais : « Notre expo s’attarde aussi aux personnages montréalais dessinés par l’écriture de Dany, comme son amie Julie, et à des éléments plus organiques, comme l’euphorie de l’arrivée du printemps à Montréal, quand les géraniums fleurissent. »
Grâce à Un cœur nomade, Laferrière fera lui-même partie intrinsèque de ce paysage urbain pendant quelques semaines, sur une promenade des Artistes que les concepteurs de l’expo considère comme un « fabuleux terrain de jeu ». « Cet espace nous permet de faire un travail muséal haut de gamme en plein air et c’est très rare », explique Frédéric St-Laurent. « J’aime aussi la manière dont s’inscrit notre travail dans l’ensemble du Quartier des spectacles et de ses installations, ajoute Judith Portier. C’est comme une immense œuvre urbaine mouvante en plein air dans tout le Quartier, à laquelle on a eu le droit de contribuer en partie. Quel honneur! »
Un cœur nomade
Jusqu’au 1er novembre 2020
Promenade des ArtistesL’Exil vaut le voyage
Jusqu’au 1er novembre 2020
Façade du pavillon Président-Kennedy de l’UQAMRetour à la liste des billets