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Quand le silence remplace les foules

28 mai 2020

Texte principal du billet

Le printemps 2020 restera gravé dans nos mémoires...

Privé de son effervescence culturelle habituelle, le photographe Ulysse Lemerise a immortalisé la période de confinement dans le Quartier liée à la COVID-19. Le Quartier des spectacles était calme, sous silence. Ces images ont inspiré des mots aux poètes Carl Bessette, Amélie Prévost et Jean-Christophe Réhel.

À voir et à lire alors qu'on se déconfine prudemment, mais aussi pour garder une trace dans l'histoire collective.



Le calme

Le monde est rendu plat, pigeon aux petits pas,
La mouette crie sa mort, l'humain ne répond pas,
Il court en diagonale ou marche en résilience,
Il compte sur son masque et un soupçon de chance.
On était des milliers, il n'y a plus qu'eux deux,
Trempés dans les limbes d'un étrange entre-deux.
Nous avons retiré aux enfants leurs mobiles,
Bâtiments de matière, escargots immobiles.
Les fantômes festoient mais le fruit sera mûr,
Les foules reviendront car d'un fait je suis sûr :
L'âme est le contenu, c'en est le réceptacle,
Notre si bien nommé Quartier de nos spectacles.

Carl Bessette

À deux mètres des améthystes

Je marche
comme on prend des photos
Je ne vois personne
Non ce n’est pas vrai
Je vois plein de monde
Je vois des itinérants
Comme des ruisseaux
qui tiennent des bouts de carton
Des ruisseaux
qui trouvent encore le moyen de sourire
Des ruisseaux
qui brillent
qui m’aveuglent
qui me font oublier qu’il fait soleil aujourd’hui
La rue Saint-Denis
est pleine de pierres
Des améthystes je crois
Ça éclaire
C’est terrible
Tout le monde respecte
les deux mètres de distance avec les pierres
Tout le monde s’éclaire
comme il peut
Je ne sais pas
comment écrire des poèmes
sous des photos
Tantôt
J’ai vu une p’tite fille
nager sur les trottoirs
Elle saluait les itinérants :
Allô
Bonne journée
À demain

Ils ne répondaient pas
Mais le lendemain
sur tous les bouts de cartons du centre-ville
On pouvait lire :
Merci
Toi aussi
À demain.


Jean-Christophe Réhel

CHAPITEAU

On pourrait dire encore des cônes
et pas un travailleur
mais on ne dit rien
on espère

on croirait l’heure du lunch
qui se prolonge d’une bière

ils reprendront tout à l’heure
le volant la casserole l’errance ou le drapeau

chapiteau pour chapiteau
chacun retient son souffle
le temps d’un test
d’un sandwich
ou bien d’un numéro

le monde est là
tout entier dans la file
la toute petite file
qui n’attend plus grand-chose
sinon peut-être un tour de piste

il n’y a plus personne
on pourrait dire
que des cônes
et pas un travailleur
mais il y a la file
les sandwichs
le test
le chapiteau


Amélie Prévost

LED

Quelque chose assurément
reprendra ses droits
le mouvement
l’humilité
ou bien les herbes folles

l’esplanade
béant astroblème
Manicouagan juste avant l’eau
a ôté son costume de monde qui grouille

une marquise
encourage les absents
blastée
comme une veilleuse
pour rassurer la structure qui dort

s’il n’y a personne pour l’entendre tomber
le star système existe-t-il encore ?

mais au balcon ça vit ça zyeute
ça fait l’amour au plexiglass
ça lève son verre
en même temps que le soleil

pis ça attends
le signal du départ
pour reprendre ses droits


Amélie Prévost

Seuls ensemble

Pour l'humain, ce gamin, en chemin vers demain,
À deux mètres de l'autre et en mal d'une main,
- Il connaît son destin, seule issue acceptable,
Que l'on renoue enfin, qu'on se remette à table ! -,
La Rencontre est sacrée, il l'espère au détour,
Il sait que pour avoir, faut donner en retour,
Il faut poser questions pour obtenir réponses:
Pour savourer la rose, il faut bien quelques ronces.
N'est plus un centre-ville où l'on n'est entre nous,
Et tant qu'autrui est loin, nous restons à genoux.
Les plus grands des trésors pour le moment se planquent,
Nos voix si lointaines, nos souffles qui nous manquent.
Nous reviendrons des bois tels d'anciens bûcherons,
Il n'est d'ailes coupées qui ne repousseront.
Seuls ensemble un moment, naviguant ces méandres,
Il reste, intact, un feu, c'est le désir d'apprendre,
Qui plus qu'un bon repas, plus que d'avoir un toit,
Lui n'existerait pas ni sans moi ni sans toi.
Qu'importe en l'équation la nouvelle variable,
Près des yeux, loin du corps, ce feu reste invariable !


Carl Bessette

BIOGRAPHIES

Le photographe

Ulysse Lemerise, quand il n’est pas confiné, est photographe de terrain. Du photo journalisme à la photographie de paysage, en passant par la photographie de spectacle et le reportage dans les grands chantiers de construction montréalais, il touche à tout. C’est toutefois en photographie d’architecture que se trouve sa grande passion. Son travail dans ce domaine lui vaut d’ailleurs de nombreuses publications dans des magazines et des livres d’art à portée internationale.

Les poètes

Jean-Christophe Réhel explore dans son écriture la solitude, la fatigue et la maladie. Il a remporté le Prix littéraire des collégiens pour son roman Ce qu’on respire sur Tatouine. En poésie, il a notamment publié La fatigue des fruits (L’Oie de Cravan) et La douleur du verre d’eau (Éditions de l’Écrou). À l'automne 2019, il a publié Peigner le feu (La Courte Échelle), un recueil de poésie jeunesse. Il donne également des ateliers de poésie et signe une chronique poétique dans Le Devoir, et on peut l'entendre régulièrement au micro de Plus on est de fous, plus on lit ! sur les ondes d'ICI Première.

Carl Bessette est poète et romancier, il a aussi cofondé et dirige les Éditions de l'Écrou.

Amélie Prévost est une artiste de la parole dont la démarche puise à parts égales dans la poésie et la performance scénique. En 2016, elle a remporté la Coupe du monde slam poésie, à Paris. Son recueil de poésie Corps Flottants, illustré par le peintre Steve Poutré est paru aux éditions Neige-Galerie en 2018. Son plus récent spectacle Fol Ouvrage (Torcher des paillettes), créé en collaboration avec Queen Ka poursuivra sa tournée au delà du confinement.

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