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Dernière entrevue | Louis-Philippe St-Arnault

21 juillet 2011

Texte principal du billet

Concepteur scénographique, Louis-Philippe St-Arnault est le directeur du département d'immersion à la Société des Arts Technologiques [SAT]. Son équipe se penche sur la recherche et développement de différents environnements immersifs et de leur impact. Actuellement, il oeuvre sur le projet Satosphère, ce dôme de 18 mètres de diamètres qui couronne maintenant l'édifice de la rue St-Laurent. Cette immense coupole servira d'espace immersif audiovisuel, que des créateurs pourront meubler avec des présentations, des projections et des oeuvres d'art numériques.

Par Marie-Pierre Bouchard
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Quelle est la principale tendance dans ton domaine actuellement?

Depuis une bonne dizaine d'années, c'est la notion d'interactivité qui est remarquable. Ça apporte une dimension bidirectionnelle à la création. L'artiste ne propose plus une oeuvre scellée, mais plutôt une oeuvre en constante évolution. Il devient un fabricant d'expérience. Ce qui est intéressant, c’est que le public devient créateur, car c'est lui qui définit la finalité de ce qu'il expérimente.

La technologie y est pour beaucoup?

Oui, c'est indissociable du phénomène, en raison de l'accessibilité que ça génère. Au niveau de la programmation des séquences d'interaction, c'est d'autant plus facile pour les créateurs d'utiliser ces outils-là. Il y a quelques années, c'était beaucoup moins accessible. Maintenant, on a accès à un tas d'outils qui permettent d'interagir, et permettent aux artistes de profiter du fait que les gens ont des appareils mobiles sur eux; ils ne sont même plus obligés de fournir de senseurs pour capter l'information que le public veut envoyer, puisque le public l'envoie automatiquement!

Pourquoi cet engouement naturel de la part du public?

Je pense que les gens ont envie de changer l'espace public. Il y a cette volonté de contribuer à une oeuvre. Tout le monde a envie de participer, de laisser sa trace.

Cette tendance améliore-t-elle la vie urbaine?

Oui! Parce que l'espace urbain est ainsi en continuelle redéfinition, en constante mutation! Je pense entre autres à la réalité augmentée, où l'interface d'une application mobile se sert d’une caméra pour avoir accès à différentes informations à propos de la ville. On va voir ça de plus en plus.

Est-ce que Montréal s’inscrit dans cette tendance à l’interactivité?

Oui tout à fait. Montréal est naturellement peuplée de compagnies créatives et d'artistes qui souhaitent plus que jamais participer activement à l'espace public. Montréal est bien positionnée pour devenir un pôle important, parce qu’on possède le talent pour rayonner internationalement. Cela dit, il y a toute la question du financement, qui peut être problématique. Les projets qui mêlent l’art et la technologique fusent de partout, mais c’est un nouveau langage et ce n’est pas évident de se faire comprendre par les investisseurs. Il faut que les anciens systèmes arrivent à comprendre les nouveaux...

Qui sont les organismes à Montréal qui contribuent à développer et à exploiter la culture numérique?

Je pense notamment à ESKI, Moment Factory et Sid Lee, entre autres.

Bien sûr, il y a aussi le hub urbain incontournable qu’est la SAT. C’est un lieu d’échange et de partage, un carrefour de création par excellence. Et parce qu’on y tient des événements publics et culturels à longueur d'année, c’est naturellement une plaque tournante.

Quelle nouvelle technologie considères-tu particulièrement inspirante et prometteuse, mais qui n'est pas encore utilisée à son plein potentiel?

D'emblée, je dirais que la créativité humaine n'a pas encore atteint son apogée. La plus belle technologie est sans doute celle que l'on n'a pas encore imaginée...

Mais pour de mon point de vue professionnel, je dirais que toute la technologie entourant l'immersion sphérique, est certainement prometteuse. Actuellement, elle est encore au stade d'être définie. La collectivité avec qui je travaille sur le projet de la SATosphère s’affaire notamment à en définir le concept et le langage.

Comment décrirais-tu Montréal?

Montréal est un pôle culturel qui pourrait rayonner davantage, encore qu'il faut trouver la manière de se démarquer et de rayonner davantage. Ses industries de création de pointe et ses artistes visionnaires sont très actifs, de même que certains organismes qui défendent et poussent la culture numérique. Dans le domaine des arts technologiques et numériques, nous n’avons pas le poids de l'histoire qui joue contre nous — contrairement au domaine des Beaux-Arts, par exemple, où toute une tradition a été mise en place depuis des siècles ailleurs dans le monde. Nous participons activement à l’élaboration de la culture numérique depuis le début, nous avons donc toutes les raisons d’être sûrs de nous.

Par ailleurs, je suis particulièrement fier du fait qu’ici, au Québec et à Montréal, on encourage beaucoup les jeunes créateurs. On fait preuve d’une ouverture qui est tout à notre avantage, en faisant confiance aux nouveaux. En ce sens, on n'a rien à envier à l'Europe, qui est beaucoup plus conservatrice sur ce point.

Quel aspect te plaît particulièrement dans une ou des villes étrangères, et que tu aimerais voir se développer à Montréal?

Je trouve qu'en Europe, et en Amérique du Sud, les gens savent vraiment comment «jouer dehors»! Le mode de vie extérieur est souvent mieux développé là-bas. La manière d’occuper les espaces publics est vraiment intéressante. À propos, l'initiative du Quartier des spectacles est audacieuse et admirable en ce sens. Mais il faut en développer encore plus, des espaces que l'on peut envahir. En France, par exemple, des installations qui sont souvent déployées en public sans que ce soit nécessairement dans le cadre d'un événement ou d'un festival. J’aime le concept de simplement partager collectivement une expérience dans un espace public.

Qu'est-ce qui, à Montréal, mériterait plus de visibilité, d'attention ou d'amélioration?

Peut-être parce que j'aime les dômes, tout de suite je pense à la Biosphère, le dôme géodésique conçu par l'architecte Richard Buckminster Fuller à l'occasion d'Expo 67. Chaque fois que je passe à côté de cette œuvre magistrale (qui est d’ailleurs un puissant symbole de Montréal), je me dis que sa mise en valeur n'est pas optimale. Oui, y a des éclairages et des expositions sur les lieux, tout ça. Mais on pourrait faire plus avec sa structure architecturale, s’en inspirer pour créer directement sur et autour d’elle; on pourrait par exemple la recouvrir et faire des projections. Ce serait vraiment intéressant de travailler avec ce monument si bien situé, qui a un potentiel évident, et lui donner une meilleure visibilité.

Qu’est-ce qui, selon toi, a le pouvoir de transformer le visage urbain en intégrant l'usage des technologies?

Un concept que l'on explore beaucoup dans la SATosphère: la proximité entre le virtuel et le réel — la réalité augmentée, la possibilité de passer par-dessus les frontières physiques. Comme société, on est de plus en plus connectés au virtuel, que ce soit par Internet et les médias sociaux. On utilise le virtuel de manière fluide dans l'espace physique. Le virtuel et le réel sont intégrés l’un à l’autre, et ça transforme le visage de la ville — c’est une évidence. Par exemple, avec des projections de grandes envergures, il est maintenant possible de retravailler visuellement l'architecture d’un bâtiment et lui donner un nouvel aspect!

Avec les appareils mobiles qui permettent la géolocalisation, il est possible d'avoir accès à des informations au sujet d'une œuvre ou d'un monument de la ville. On parle si peu des grands architectes de Montréal! Mais bientôt, en regardant le panorama de la ville sur notre téléphone intelligent, on pourra identifier les architectes et les années de construction des bâtiments qui nous entourent! C’est extrêmement positif et enthousiasmant.

Quelles sont tes sources d'inspirations?

Comme scénographe, les espaces et l'architecture me parlent beaucoup. Je m’intéresse particulièrement au déplacement humain en milieu altéré. Quand on choisit un espace pour le transformer (par un bâtiment dans une rue, ou par l'ajout d'une œuvre dans un musée ou un espace public, par exemple), ça modifie toute l'activité humaine autour de cet espace. Les gens circulent et se positionnent autrement, ils adoptent certains points de vue, etc. C'est la matière première de mon travail, et ça devient ma source d'inspiration naturellement.

Ce qui m'anime principalement, c’est l'idée de redéfinir les outils d'expression artistique, liés aux nouvelles technologies. Oui, les nouvelles technologies sont des outils, mais parfois, indirectement, elles deviennent une source d'inspiration par leur manière d’ouvrir une porte à un langage différent.

Parle-nous d’un designer qui, selon toi, a bouleversé notre perception du design en général.

Il y en a plein! Mais je dirais Gaudí. Ce qui me passionne de son œuvre, c'est le rapport du multiface, ces nombreux choix de points de vue. Impossible de voir un élément de son œuvre sans avoir l'intention d'en faire le tour, de l'explorer. Chaque pas, chaque mouvement, chaque déplacement en périphérie de l'objet te font découvrir autre chose! Tu croyais voir telle forme, finalement c'est autre chose! C’est fascinant. Et son œuvre a eu un réel impact dans l’histoire de l’art et de l’architecture: il y a eu avant et après Gaudí... Que l’on pense au Musée Guggenheim de Bilbao, ou à l'Opéra de Sidney, où selon tel ou tel angle, on ne voit qu'un fragment, et qui change selon la lumière. Ce sont toutes des belles inspirations...

Quels sont les moyens de communication que tu utilises le plus?

Les courriels et les SMS. Par contre, j’ai choisi de ne pas être sur les médias sociaux. Ce n’est pas par manque d’intérêt, mais surtout par crainte d’y perdre trop de temps et d’être déconcentré...

Selon toi, quel axe de communication utilisé par certaines compagnies peut devenir irritant, voir rébarbatif? Et comment peut-on les inciter à changer leur façon de faire?

Les méthodes de communications unidirectionnelles. Comme le placardage publicitaire, par exemple, qui prend tellement de place... ça devient oppressant, du fait que c'est à sens unique. Je pense notamment aux stations de métro, où l’on est bombardé de publicités dans ces espaces restreints, jusque par terre, en plus des écrans, tout ça.

L’un des organismes qui a eu une idée géniale, c’est le M.A.P. (Mouvement Art Public), qui a loué des espaces publicitaires et a mandaté des artistes afin d’y afficher des œuvres intégrées. Ce genre d’initiative permet d’embellir et de désaliéner ces espaces habituellement occupés par la publicité. C’est une réponse poétique à un affront qui nous est de plus en plus imposé.

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