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Entrevue #3 | Patrick Dubé

10 juin 2011

Texte principal du billet

Patrick Dubé est consultant en innovation ouverte. En expansion depuis une dizaine d’années en Europe, le concept d’innovation ouverte est relativement récent en Amérique du Nord. Patrick Dubé se spécialise particulièrement dans le développement des stratégies autour des Livings Labs. Un Living Lab est une démarche méthodologique de codéveloppement d’un projet par de multiples prenantes et au sein de laquelle les projets sont portés par les usagers. Un living lab est centré sur les notions d’appropriation, d’expérimentation collective et de développement durable et responsable.

Par Marie-Pierre Bouchard
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Les Livings Labs connaissent un essor remarquable en ce moment. Comment cela se manifeste-t-il?

Depuis environ sept ans, il y a une véritable explosion dans ce domaine, surtout en Europe. À l’échelle mondiale, on en compte environ 300 qui sont officiellement certifiés par l’ENoLL. C’est innovateur, parce que les usagers sont porteurs du processus de réflexion.

Quelle est la tendance actuellement au niveau des Livings Labs?

On assiste actuellement à un changement de paradigme complet dans le soutien à l’innovation. Avec l’apparition des Living Labs, on a maintenant la possibilité de joindre les intérêts des citoyens, des organismes communautaires, des organisations publiques et des entreprises. Ces dernières s’approprient de plus en plus cette approche afin de demeurer compétitives dans une «no-time-to-think economy » de plus en plus turbulente. C’est intéressant parce que les living labs représentent un moyen de créer un capitalisme plus humain et plus intègre.

Comment expliquez-vous que ce soit la technologie qui permette cette humanisation?

La technologie de l’information est au cœur même de tous les Livings Labs. CCela contribue significativement au phénomène de co-création. Plusieurs parties prenantes ont la possibilité de participer à un même projet et de le bonifier, en l’expérimentant en temps réel.

Le web 2.0 permet de favoriser la création d’un agenda commun : qu’on soit à gauche ou à droite, on voit l’autre et parce qu’on le voit, on a la possibilité de le comprendre. Cela ne se fait pas tout seul cependant et nécessite cependant la mise en place de mécanismes d’animation de communautés particuliers.

Comment les Livings Labs améliorent-ils la vie urbaine?

Ils permettent aux gens de créer du sens commun dans la diversité.

Je vais te donner un exemple concret. À Barcelone, il y a un Living Lab, Citilab qui a mis sur pied un projet avec les personnes âgées, afin de leur apprendre à utiliser la technologie. En maîtrisant Internet, il devient plus facile pour eux de socialiser. Le Living Lab permet d’adapter la technologie à leurs besoins et à leurs limitations physiques ou mentales, ce qui crée une innovation de la technologie elle-même à partir de ces nouveaux modèles d’usagers.

Mais parallèlement, à Barcelone, on s’est aperçu que par leur présence sur Internet et par leur participation au Living Lab, les personnes âgées documentent la ville au 20e siècle! Ainsi, cela profite au bien commun pour l’ensemble de la population de la ville de Barcelone.

Est-ce que Montréal s’inscrit dans cette tendance? Qui sont les personnes à Montréal qui contribuent à la développer et/ou à l’exploiter?

Sur les 300 Livings Labs certifiés répartis dans une trentaine de pays, on en compte seulement trois en Amérique du Nord! Et sur ces trois-là, deux sont situés à Montréal :
  • Le Mandalab : c’est un Living Lab citoyen qui a des chantiers dans les secteurs de l'éducation, de la territorialité numérique, de la démocratie participative, de la fabrication numérique (Fablab), du développement durable et du style de vie.
  • Le URBAN HUB de la SAT, dont le premier chantier est dans le secteur de l'humanisation des soins de santé par les arts technologiques dans les hôpitaux pour enfants (en partenariat avec l’Hôpital Ste-Justine). Ils ont aussi des projets de réalité virtuelle immersive, d'animation vidéo, de téléprésence, de thérapie par avatar 3D, etc.
En plus de ces deux Livings Labs déjà certifiés, une bonne dizaine sont actuellement en développement. On peut donc affirmer qu’à l’échelle nord-américaine, Montréal est LE pôle du Living Lab.

Quelle nouvelle technologie considères-tu particulièrement inspirante et prometteuse, mais qui n'est pas encore utilisée à son plein potentiel?

La réalité augmentée. Certains croient, à tort, que cela ne ferait qu’augmenter l’information à laquelle nous avons accès, et qui est déjà trop abondante pour qu’on puisse l’intégrer. Mais en réalité, non, c’est plutôt l’inverse qu’il faut créer! Il faut se concentrer sur le développement d’applications permettant de filtrer l’information, en arrivant à en déterminer la pertinence. Ce genre d’application pourrait ressortir d’un Living Lab.

Comment décrirais-tu Montréal?

Une ville de paradoxes et de contradictions, de dualités et de contrastes. C’est ce qui la rend intéressante et vibrante.

Quel aspect te plaît particulièrement dans une ou des villes étrangères, et que tu aimerais voir se développer à Montréal?

J’aime beaucoup le phénomène du speaker’s corner, que l’on peut observer dans le Hyde Park à Londres. C’est un exercice de démocratie participative que je peux parfaitement imaginer au pied du Mont-Royal! Les Montréalais seraient excellents!

J’aimerais aussi que Montréal adopte l’horaire catalan… (rires!)

Qu'est-ce qui, à Montréal, mériterait plus de visibilité, d'attention ou d'amélioration?

Aussi étrange que cela puisse paraître : la scène metal! Montréal est la Mecque du heavy metal en Amérique du Nord, et personne n’est au courant! Moi-même, je ne suis pas un adepte, mais quand même, je pense que Montréal gagnerait à reconnaître que ce genre musical est sous-représenté, à tort.

Et dans un tout autre ordre d’idées, je trouve que le patrimoine religieux est vraiment maltraité. La Ville aux Cent Clochers est en train de se transformer en Condos Land, et en mon sens c’est une perte désolante…

Qu’est-ce qui, selon toi, a le pouvoir de transformer le visage urbain en intégrant l'usage des technologies?

Les Livings Labs! C’est à ça que ça sert, précisément.

Que penses-tu des réseaux sociaux?

Je pense que les réseaux sociaux ont leur utilité, mais il faut absolument qu’on sorte de «l’exposition de soi» pour aller vers l’exploration de soi dans la découverte de l’autre.

Quelles sont tes sources d'inspirations?

Le monde végétal et organique. Je suis un grand admirateur de l’art nouveau. Je tripe sur Gaudi, j’aime le style Tiffany, etc.

Je suis aussi inspiré par l’environnement où je travaille. Par exemple, j’apporte régulièrement mon laptop dans le cimetière Côte-des-Neiges, je m’y sens bien et ça m’inspire.

Parle-nous d'un spectacle ou d’une exposition qui t'a marqué, notamment par l'utilisation des technologies.

J’ai oublié le titre… J’ai vu un spectacle de danse expérimentale il y a quelques années… Les danseurs étaient munis de capteurs d’informations, et il y en avait partout dans la salle. Ces capteurs renvoyaient de l’information aux danseurs en temps réel sur ce qui se passait dans la salle, et ceux-ci s’ajustaient. C’était fascinant, c’est le genre d’utilisation de la technologie qui m’allume au plus haut point. J’appelle ça de l’humanité augmentée.

Parle-nous d’un designer qui, selon toi, a bouleversé notre perception de la mode.

Coco Channel, pour son rôle déterminant auprès des femmes.

Quels sont les moyens de communication que tu utilises le plus?

Je privilégie la parole et le dialogue en face à face. Je communique aussi par courriel, c’est un incontournable. J’aime bien les réseaux sociaux, mais j’ai hâte qu’ils livrent leurs promesses en termes de rapport à l’autre…

Comment te renseignes-tu sur ce qui se passe à Montréal?

Je ne suis pas un grand lecteur de blogues ou de sites web, mais j’ai un grand réseau qui me tient au courant et me nourrit!

Selon toi, est-ce que le dialogue suscité par certaines compagnies peut devenir irritant?

L’approche des compagnies de téléphone m’irrite au plus haut point, car tout semble fait pour annihiler la réalité de l’usager…

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