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Entrevue # 5 | Sylvain Carle

27 juin 2011

Texte principal du billet

Sylvain Carle est bien connu du milieu web montréalais. Spécialiste de technologies Internet émergentes, il se définit comme un «geek en chef» passionné. Il œuvre actuellement sur le projet Needium, un moteur de recherche qui identifie les besoins implicites ou explicites exprimés par les consommateurs dans les médias sociaux, et qui propose ensuite des occasions d’affaires aux entreprises.

Par Marie-Pierre Bouchard

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Quelle tendance connaît un essor notable en ce moment dans ton domaine?

D’une part, la personnalisation des technologies grâce à leur version mobile; de plus en plus, les individus se déplacent avec un accès internet dans leur poche. D’autre part, les fichiers personnels se retrouvent dans le nuage (cloud). Ces deux tendances sont liées et fonctionnent ensemble.

De quelle manière envisages-tu l’évolution technologique?

Depuis une quinzaine d’années, j’ai observé que les gens ont tendance à surévaluer les changements à court terme, et à sous-évaluer les changements à long terme! Par exemple, on entend souvent cette idée qu’on aura un jour un implant dans le cerveau. Je n’adhère pas à ce genre de prévision! Par contre, je suis d’avis que nous avons actuellement une capacité de traitement (processing) qui s’approche de ce qu’on voyait autrefois comme de la science-fiction. Nous y sommes.

La reconnaissance vocale, par exemple, est maintenant au point. Les gens ne sont pas encore dotés d’équipement adéquat pour l’utiliser dans sa pleine mesure – mais ce n’est qu’une question de temps. D’ailleurs, l’interface écran/clavier/souris n’aura été dans l’histoire qu’un bref épisode d’adaptation, et il est en voie d’être complètement remplacé par quelque chose de très organique : on a déjà un aperçu de ce qui s’en vient, avec les écrans tactiles et la reconnaissance vocale, et ce n’est que le début. Plutôt que de se plier à un système qui ne nous ressemble pas, nous élaborerons des ordinateurs qui fonctionneront selon l’approche humaine.

Comment Internet améliore-t-il la vie urbaine?

De plusieurs manières. La technologie de géolocalisation, par exemple, génère un répertoire de lieux et encourage la découverte. Si je suis en vacances à San Francisco, et que j’ai envie de manger des sushis, je peux voir sur Foursquare qui, parmi les gens de mon réseau, a l’habitude de tel ou tel resto de sushis. Ça a une valeur résiduelle. C’est comme si on amenait nos amis avec nous dans notre poche!

Est-ce que Montréal s’inscrit dans cette tendance?

Oui, Montréal connaît actuellement une belle effervescence sur la scène techno. Je pense à Île sans fil, qui a été un précurseur dans l’idée du réseau ambiant. Cela dit, la ville de Québec l’a mieux intégré encore que Montréal! Là-bas, il y a un réseau sans fil dans pratiquement tous les espaces publics, même dans les parcs! Cela dit, c’est bien beau être branché partout et tout le temps, mais il est également essentiel de créer des lieux de rencontres, pour encourager la bande passante humaine! Je pense notamment à la Fondation OSMO, qui compte rafraîchir la Maison Notman afin d’y établir des sociétés naissantes de la technologie web et mobile dans un esprit collaboratif. Les civilisations humaines ont toujours eu besoin de cet espace neutre que l’on appelle la troisième zone, cet endroit séparé des lieux d’habitation et de travail. Qu’on pense au forum romain et à l’agora, ou plus près de chez nous au perron de l’église, cet espace public est nécessaire comme lieu d’échanges. Internet et les médias sociaux viennent réaffirmer ce besoin d’échange et de partage.

Quelle nouvelle technologie considères-tu particulièrement inspirante et prometteuse, mais qui n'est pas encore utilisée à son plein potentiel?

Depuis que nous avons accès au réseau partout, tout le temps, à même notre poche, nous faisons face à une surabondance d’information. Il est maintenant nécessaire de développer la technologie permettant d’analyser et de filtrer l’information basée sur ce qu’on appelle l’algorithme prédictif. C’est ce qui est formidable avec les ordinateurs : ils sont là pour ordonner des millions de données pendant que l’humain peut vaquer à son intuition et à sa créativité.

Comment décrirais-tu Montréal?

Je suis un fan fini de Montréal! Je suis né à Rimouski, j’ai été élevé en banlieue, et pour moi Montréal était le lieu de tous les possibles. Et ça l’est! Il y a dans ce melting pot une richesse et un potentiel incroyable. J’ai aussi vécu à San Francisco, et ce sont des villes qui se ressemblent à certains égards : les deux sont villes portuaires, des terres d’immigration, où vivent d’importantes communautés gaies et des gens créatifs. Montréal est une référence internationale au niveau de la musique alternative, et j’aimerais qu’elle le devienne aussi dans le domaine de la techno.

Quel aspect aimerais-tu voir se développer à Montréal?

La capacité de pouvoir déclarer «nous sommes les meilleurs», ou «nous visons le top». C’est une attitude qui manque encore à la culture locale qui vient de notre passé où l’on s’était fait dire qu’on était nés pour un p’tit pain. Il faut se défaire de ça, et adhérer au principe que lorsqu’on partage une idée, on ne se la fait pas voler, on lui permet plutôt de s’enrichir et de se bonifier!

Au Québec, on aime discuter. La notion d’échange, de partage et de collaboration est en plein développement. C’est ce que j’essaie d’implanter avec le concept d’anticonférences que sont les BarCamp et MediaCamp.

Qu'est-ce qui, à Montréal, mériterait plus de visibilité, d'attention ou d'amélioration?

Sur le plan urbain, j’observe que le Québec est en transition. Le réseau des pistes cyclables s’améliore nettement ces dernières années, et on doit continuer dans cette voie. Il faudrait aussi aménager plus d’espaces réservés aux piétons. C’est une configuration urbaine très européenne qui n’est pas encore bien implantée ici. Mais il est important de s’y mettre, car ça améliore grandement la vie de quartier.

Qu’est-ce qui, selon toi, a le pouvoir de transformer le visage urbain en intégrant l'usage des technologies?

Le fait que tout le monde soit en ligne. Les réseaux sociaux permettent de repérer et de découvrir les initiatives locales plus facilement. C’est là qu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas de vie virtuelle et de vie réelle : Internet, ça fait partie de la «vraie vie»! Les citoyens sont beaucoup plus visibles sur les médias sociaux, ils sont vus et entendus. C’est pareil pour les industries et les commerces. C’est ça, le village global.

Quelles sont tes sources d'inspirations?

Les patenteux, les bidouilleurs. Ceux qui tentent l’impossible, et qui s’approprient quelque chose pour en créer une autre. Enfant, j’aimais les jeunes qui s’adonnaient au skateboard, car ils inventaient leur sport sur le mobilier urbain, ils s’appropriaient l’espace public et ont créé quelque chose de nouveau. J’ai aussi admiré les cracks d’informatiques parce que grâce à leur curiosité et leur audace, ils ont tenté des expériences et modifié le monde de la techno. Encore une fois, c’est parce qu’ils communiquaient ensemble qu’ils ont pu évoluer : les échanges accélèrent le progrès.

Dans un autre ordre d’idée, les gares m’inspirent énormément. Dans toutes les villes du monde, il y a ces gares qui sont les lieux de mouvements, de départs, de retours, d’adieux, de retrouvailles. C’est comme un routeur.

Parle-nous d'un spectacle ou d’une exposition qui t'a marqué, notamment par l'utilisation des technologies.

Un spectacle théâtral en hommage à l’imaginaire hybridé de Norman McLaren créé par lemieux.pilon 4d art. C’était une belle intégration d’hologrammes, de projections et de musique, très poétique, et surtout c'est très bien dosé.

Qui selon toi a changé notre perception du design?

Jonathan Ive a littéralement réinventé le design des ordinateurs, autant le matériel que le logiciel, c’est un incontournable.

J’admire aussi beaucoup Linus Torvalds (celui qui a développé Linux), parce qu’il a su faire «je vous offre mon code, et ensemble on va continuer à le peaufiner». Il a compris et transmis l’idée que l’on peut concevoir un design dans le but qu’il soit transformé et amélioré.

Quels sont les moyens de communication que tu utilises le plus?

Courriels, médias sociaux, tout ce qui permet de collaborer en utilisant la technologie numérique. Et j’adore le contact humain. Par contre, je n’aime pas ce qui est analogue, comme le fax ou le téléphone.

Ce sont surtout les gens de mon réseau qui m’alimentent lorsque vient le temps de savoir où aller, quoi faire, où qui me tiennent au courant de ce qui se passe, par les réseaux sociaux notamment. Les gens s’assemblent et se désassemblent au gré de leur volonté, de leurs inspirations et de leurs aspirations. «Small pieces loosely joined». C’est vivant, c’est dynamique.

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